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Présentation générale de la réforme du droit des contrats : les apports juridiques de la réforme (2ème partie)

Le 28 avril 2016
L’ordonnance du 10 février 2016 ne se contente pas d’opérer un ravalement des murs encore solides mais défraichis du code de 1804.

Elle instaure également, soit des dispositifs juridiques totalement nouveaux, soit des règles remettant cette fois en cause des solutions dégagées jusque là par la jurisprudence.

Ces règles nouvelles sont cependant bien moins importantes en nombre que les hypothèses de reprises dans le code civil d’apports jurisprudentiels antérieurs.(Cf. Présentation générale de la réforme du droit des contrats 1ère partie)


I. Remise en cause de solutions jurisprudentielles antérieures

Cela vise principalement deux sujets.

Le nouvel article 1124 du Code civil met fin à la jurisprudence de la Cour de Cassation selon laquelle la rétractation d’une promesse unilatérale de vente ne peut être sanctionnée que par des dommages intérêts et non par la conclusion forcée du contrat, même lorsqu’elle intervient durant le délai d’option. (voir par ex. Civ. 3ème 12 juin 2013 n°12-19105)

Désormais, le promettant ne peut plus paralyser l’opération en revenant sur son engagement : « La révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis. Le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul. » (Article 1124 alinéa 2 et 3)

Le bénéficiaire lésé pourra désormais exiger la conclusion et l’exécution forcée du contrat promis, et non plus se contenter de solliciter l’allocation de dommages intérêts.

Il devra cependant pour cela avoir levé l’option dans les conditions prévues par la promesse, sans se laisser influencer par le revirement du promettant et l’éventuel contrat passé par ce dernier avec un tiers de mauvaise foi.

La seconde jurisprudence remise en cause par l’ordonnance du 10 février 2016 a trait à l’opposabilité des ventes immobilières.

Dans le dernier état de sa jurisprudence (Civ. 3ème 19 juin 2012 n°11-17105) la Cour de cassation retenait que le second acquéreur d’un bien immobilier devait primer le premier acquéreur du même bien dès lors que la seconde vente étaient publiée en premier, et ce, quelque soit la mauvaise foi du second acquéreur.

Le nouvel article 1198 du Code civil réintroduit, heureusement, la notion de bonne foi : « lorsque deux acquéreurs successifs de droits portant sur un même immeuble tiennent leur droit d’une même personne, celui qui a, le premier, publié son titre d’acquisition passé en la forme authentique au fichier immobilier est préféré, même si son droit est postérieur, à condition qu’il soit de bonne foi. »

Le second acquéreur ne peut donc l’emporter sur le premier qu’à la double condition qu’il ait publié son acte en premier, et qu’il soit de bonne foi, c’est-à-dire qu’il ait ignoré l’existence de la première vente.

II. Nouveaux dispositifs et règles de fond applicables aux contrats conclus au 1er octobre 2016

L’ordonnance du 10 février 2016 crée un nouveau mécanisme de la cession de dettes (articles 1327 et suivants), sorte de « pendant négatif » de la cession de créance.

Elle supprime également la « cause » du contrat sujette à de nombreux débats jurisprudentiels et doctrinaux pour la remplace, le terme « cause » disparaissant des nouvelles dispositions du code civil. En réalité, il s’agit d’une disparition plus formelle que réelle.

L’ancienne cause subjective (la raison pour laquelle les parties ont contracté) se retrouve sous la forme de « but du contrat » du nouvel article 1162 : « Le contrat ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but, que ce dernier ait été connu ou non par toutes les parties » ;

L’ancienne cause objective de l’obligation, est désormais désignée sous le vocable contrepartie, notamment à l’article 1169 : « Un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire. »

En dehors de la cession de dettes et de la disparition formelle de la cause, la réforme introduit différentes dispositions réellement novatrices par rapport au droit antérieur, innovations qui peuvent être regroupées sous les thèmes suivants qui feront chacun l’objet d’articles ultérieurs plus détaillés :

1)    Les causes d’anéantissement du contrat

2)    Le contenu et l’équilibre du contrat

3)    Les sanctions de l’inexécution du contrat

 

II.1 Nouvelles dispositions relatives à l’anéantissement du contrat

L’abus de dépendance

Le code civil contient désormais en son article 1143 un nouveau vice du consentement : l’abus de dépendance qui s’analyse en une violence : « Il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif. »

A priori la notion de dépendance doit s’entendre de manière large. Il pourra s’agir de dépendance économique, mais aussi psychologique ou sentimentale tirée du lien existant entre les parties. Quant à l’abus il devra résulter des conditions excessivement avantageuses obtenues par le cocontractant.

Nouveau régime de la réticence dolosive

Auparavant la réticence dolosive impliquait l’existence d’une obligation d’information non respectée à la charge de l’auteur du dol. Le nouvel article 1137 supprime cette corrélation entre réticence et obligation d’information : « Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie. »

Par ailleurs l’article 1139 dispose : « l’erreur qui résulte d’un dol est toujours excusable ; elle est une cause de nullité alors même qu’elle porterait sur la valeur de la prestation. »

L’application conjuguée de ces deux textes est de nature à remettre en cause la jurisprudence de la Cour de Cassation qui ne retenait pas la réticence dolosive de l’acheteur pour dissimulation de la valeur réelle du bien acheté. (Civ. 1ère 3 mai 2000 n°98-11331 dit arrêt Baldus)

Mise en place d’actions interpellatoires

Dans trois cas précis, l’ordonnance du 10 février 2016 met en place un système préventif permettant à celui qui s’apprête à conclure ou exécuter un contrat, d’interroger celui qui, tiers ou également partie, disposerait de moyens de contester ensuite l’opération.

En matière de nullité contractuelle, l’article 1183 prévoit que : « une partie peut demander par écrit à celle qui pourrait se prévaloir de la nullité soit de confirmer le contrat soit d’agir en nullité dans un délai de six mois à peine de forclusion. La cause de la nullité doit avoir cessé. »

En matière de pacte de préférence, l’article 1123 instaure le même mécanisme au bénéfice du contractant voulant purger le droit de préférence d’un tiers : « Le tiers peut demander par écrit au bénéficiaire de confirmer dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable, l’existence d’un pacte de préférence et s’il entend s’en prévaloir…à défaut de réponse dans ce délai, le bénéficiaire du pacte ne pourra plus solliciter sa substitution au contrat conclu avec le tiers ou la nullité du contrat. »

Enfin, pour lever toute ambiguïté sur les pouvoirs conférés à un mandataire, l’article 1158 dispose : « Le tiers qui doute de l’étendue du pouvoir du représentant conventionnel à l’occasion d’un acte qu’il s’apprête à conclure, peut demander par écrit au représenté de lui confirmer, dans un délai qu’il fixe et qui doit être raisonnable, que le représentant est habilité à conclure cet acte…à défaut de réponse dans ce délai, le représentant est réputé habilité à conclure cet acte. »

Contrairement aux autres dispositions de l’ordonnance du 10 février 2016 ces trois actions interpellatoires sont d’application immédiate et peuvent donc être mises en œuvre y compris dans le cadre de contrats conclus antérieurement au 1er octobre 2016.

La caducité dans les ensembles contractuels

Le principe même de la caducité et ses effets sont désormais codifiés sous les articles 1186 et 1187 : « Un contrat valablement formé devient caduc si l’un de ses éléments essentiels disparaît » ; « la caducité met fin au contrat. »

Surtout la loi nouvelle pose un principe d’indivisibilité des ensembles contractuels rendant caducs tous les contrats concernés par la même opération dès lors que l’un d’eux disparaît : « lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération et que l’un d’eux disparaît, sont caducs les contrats dont l’exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie. »

II.2. Nouvelles dispositions relatives au contenu et à l’équilibre du contrat

Spécificités du contrat de services

Lorsque la qualité de la prestation n’est pas précisée au contrat, le nouveau article 1166 prévoit que : « …le débiteur doit offrir une prestation de qualité conforme aux attentes légitimes des parties en considération de sa nature, des usages et du montant de la contrepartie ».

Auparavant, à défaut de stipulation précise, le prestataire n’était tenu qu’à la fourniture d’une prestation « moyenne ».

Par ailleurs, le prix n’a pas à être obligatoirement déterminé ni déterminable, ni au moment de la conclusion du contrat, ni même au moment de l’exécution de la prestation. Dans cette hypothèse, le prix peut être fixé unilatéralement par le prestataire dans les conditions prévues par l’article 1165 : «…le prix peut être fixé par le créancier, à charge pour lui d’en motiver le montant en cas de contestation. En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande en dommages et intérêts. »

Le même mécanisme de fixation unilatérale du prix, sous réserve d’abus contrôlé judiciairement, est prévu pour les contrats cadres (Article 1164) quel que soit leur objet (vente ou prestation de services).

Clause entraînant un déséquilibre significatif dans les contrats d’adhésion

La réforme introduit la notion de contrat d’adhésion dans le code civil, par opposition au contrat de gré à gré dont le contenu peut être librement négocié par les parties (Article 1110).

Parce son contenu est « déterminé à l’avance par l’une des parties » le contrat d’adhésion ne doit pas comporter de clauses entraînant un déséquilibre significatif entre les parties.

L’article 1171 prévoit les conditions dans lesquelles ce type de clause doit être réputée non écrite : « dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte ni sur l’objet principal du contrat, ni sur l’adéquation du prix à la prestation. »

Révision du contrat en cas de changement de circonstances imprévisibles

Symbole de la recherche d’un équilibre tout au long de l’exécution du contrat, l’ordonnance du 10 février 2016 met en place un dispositif nouveau de révision judiciaire du contrat.

L’objectif est de faire en sorte d’amener les parties à renégocier lorsque, du fait d’un changement de circonstances extérieures imprévisibles lors de sa conclusion, l’exécution du contrat aux conditions initiales devient lésionnaire pour l’une des parties. A défaut de renégociation amiable ou de décision conjointe de résolution, la loi confère alors au juge le pouvoir de réviser le contrat ou d’y mettre un terme.

L’ensemble du mécanisme est fixé par l’article 1195 du Code civil : « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de le renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date ou aux conditions qu’il fixe. »

II.3 Nouvelles dispositions relatives aux sanctions en cas d’inexécution

L’article 1217 du Code civil énonce les 5 sanctions possibles en cas d’inexécution contractuelle par l’une des parties. Parmi ces sanctions seules trois d’entre elles présentent un caractère innovant.

L’exception d’inexécution par anticipation

Outre que le principe d’exception d’inexécution est désormais codifié à l’article 1219, l’article 1220 prévoit désormais une exception d’inexécution par anticipation, lorsqu’existe des raisons de croire que le cocontractant ne va pas respecter son engagement.

Le texte parle alors de suspension d’exécution : « Une partie peut suspendre l’exécution de son obligation dès lors qu’il est manifeste que son cocontractant ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour elle. Cette suspension doit être notifiée dans les meilleurs délais. »

L’exécution forcée en nature

Contrairement à l’ancien article 1142 du Code civil, le nouvel article 1221 pose le principe du droit du créancier à exiger l’exécution forcée en nature, et non plus seulement à se cantonner à une indemnisation sous forme de dommages et intérêts en cas de manquement du débiteur.

L’exécution forcée en nature ne peut être écartée que lorsqu’elle est impossible ou trop onéreuse pour le débiteur : « le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature, sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier. »

Par ailleurs, le créancier peut désormais faire exécuter lui-même l’obligation de son cocontractant sans autorisation judiciaire préalable et lui réclamer ensuite en justice le remboursement du coût de cette exécution.

Enfin, il peut également, comme antérieurement, faire acter la défaillance de son cocontractant en justice et solliciter la condamnation de ce dernier au paiement des sommes nécessaires à l’exécution de son obligation par un tiers.

La réduction du prix

Cette possibilité totalement nouvelle est prévue par l’article 1223 : « Le créancier peut, après mise en demeure, accepter une exécution imparfaite du contrat et solliciter une réduction proportionnelle du prix. S’il n’a pas encore payé, le créancier notifie sa décision de réduire le prix dans les meilleurs délais. »


(Les informations contenues dans cet article, bien qu'elles soient de nature juridique, ne constituent ni un avis juridique, ni une consultation. Pour tout litige ou problématique en rapport avec le sujet traité vous êtes invités à prendre contact avec un avocat en droit des contrats)

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